Point de vue et dialogisme : des catégories linguistiques pour
repenser la question de la voix narrative
Abdoulaye Diouf
Université Paris 13
Le changement de paradigme que le XXe siècle a connu avec la remise sur
l’établi de la théorie de l’interprétation, de l’herméneutique et de la
compréhension au détriment du modèle nomologique explicatif n’a pas laissé indifférente
la narratologie. En visant particulièrement le modèle structuraliste et son
postulat immanentiste, elle a proposé le renouvellement des études
narratologiques jusque-là marquées par « l’analyse structurale du
récit » avec des théoriciens autour de Gérard Genette. C’est ainsi qu’à
rebours de la narratologie dite « classique », s’est érigée une
narratologie « postclassique » (le mot est de David Herman) qui
s’intéresse désormais au récit en tant que parole, discours ; donc à sa
fonction et non plus seulement à son fonctionnement, à la dynamique de la
narration, le récit étant production et non pas seulement produit comme le
montre Gerald Prince. Avec l’ouverture aux théories de l’énonciation qui
reposent sur l’idée que toute voix est habitée d’énonciations multiples
(dialogisme bakhtinien) et qu’en parlant on représente la subjectivité
infra-verbale d’un énonciateur (notion de Point de vue), la question de la
« voix narrative » déborde à la fois les « niveaux
narratifs » genettiens et la parole qui résonne dans le récit, devenant
ainsi une problématique transversale qui intéresse linguistes (travaillant au
niveau de la langue et du discours) et littéraires (travaillant au niveau de la
parole).
Dans cet article, j’essaie d’utiliser les catégories linguistiques de
« Dialogisme » et de « Point de vue » pour voir comment
elles peuvent contribuer à reproblématiser la question de la « voix
narrative » vers une acception dématérialisée. Ce qui suppose l’existence
d’un rapport entre linguistique et littérature que j’analyserai par la suite en
termes de conjonction, de complémentarité qui développe une démarche
heuristique. En prenant appui sur un corpus tiré de l’œuvre de Marguerite
Yourcenar, mon étude reposera sur trois grands points : un survol de la
conception de la voix chez les narratologues classiques (I) qui sera croisée
aux développements sur les notions de « point de vue » (II) et de
« dialogisme » (III) pour laisser voir une conception de la voix
pensée sous forme de continuum avec le point de vue et non plus dans une
étanchéité.
I- La conception « classique » de la voix narrative
Représentée
par les pères fondateurs Roland Barthes (avec son manifeste « Introduction
à l’analyse structuraliste des récits »), Tzevtan Todorov (et sa grammaire
au récit), Gérard Genette, A.J.Greimas (et l’école sémiotique de Paris), Claude
Bremond (et sa logique du récit), une théorie structurale du récit voit le jour
en 1966 avant d’être baptisée narratologie
par Todorov en 1969[1]. Elle
sera dite par la suite « classique »
quand le structuralisme, sous les principes duquel elle s’est identifiée
comme sous-catégorie littéraire, sera dépassé. Dans le texte fondateur, L’Analyse structurale du récit paru en
1966 dans le numéro 8 de la revue Communications
et plus tard aux éditions du Seuil (1981), ces auteurs, ainsi que leurs
compagnons (Wayne Booth, Franz Stanzel, Lubomír Doležel, etc.) et plus tard
leurs continuateurs (Mieke Bal, Seymour Chatman, Käte Hamburger, etc.),
trouvent des catégories formelles communes à partir desquelles se définit tout
récit.
Dans
son article, « Les catégories du récit littéraire », Todorov part des
distinctions de la rhétorique classique entre l’inventio et la dispositio
retravaillées par les Formalistes russes sous les termes de « fable »
(ce qui s’est effectivement passé) et de « sujet » (la façon dont le
lecteur en a pris conscience) et découvre deux catégories pour analyser l’œuvre
littéraire après la formulation catégorique qui en a été faite par Emile
Benveniste: l’ « histoire » (les événements racontés) et le
« discours » (la manière dont ces événements sont racontés par le
narrateur). Dans le récit comme « histoire » il distingue deux
niveaux (la logique des actions et les personnages et leurs rapports) et dans
le récit comme « discours » trois procédés qui sont le
« temps » (rapport entre le temps de l’histoire et le temps du
discours), l’ « aspect » (manière dont le narrateur perçoit
l’histoire qui reprend les catégories de la vision de Pouillon) et le
« mode » (types de discours utilisé par le narrateur). En 1968, quand
paraît sa Poétique, la typologie du
« discours » s’enrichit d’une quatrième catégorie, « la
voix », dans la description de
l’aspect verbal[2] du texte littéraire :
On joindra à ces trois catégories une quatrième qui ne se
situe plus sur le même plan mais qui leur est, dans les faits, inextricablement
liée : […] ; elle sera envisagée ici du point de vue de la fiction,
et on s’y référera sous le terme de voix[3].
Cette spécificité qu’il
évoque par rapport aux trois premières catégories a trait à la figure du narrateur qui fait de la voix
un moyen pour la narratologie d’aborder la question de la subjectivité sans que
celle-ci soit confondue avec l’auteur réel. Elle permet maintenant de penser
discours et fiction en rapport avec le « sujet de l’énonciation » qui
assume le discours et non plus de caractériser le passage entre discours et
fiction auquel les trois premières catégories s’étaient illustrées :
C’est le narrateur qui incarne les principes à partir
desquels sont portés les jugements de valeurs ; c’est lui qui dissimule ou
révèle les pensées des personnages, nous faisant ainsi partager sa conception
de la « psychologie » ; c’est lui qui choisit entre le discours
direct et le discours transposé, entre l’ordre chronologique et les
bouleversements temporels. Il n’y a pas de récit sans narrateur[4].
Ce sont ces
fonctions que lui confère son pouvoir essentiel de narration qui lui ont valu
d’ailleurs des clichés du type « autorité »,
« omniscience » tendant tous à le mythifier. Traditionnellement
identifié à la première personne, il a été par la suite élargi au récit à la
troisième personne par la narratologie classique qui, en voulant exclure la
figure de l’auteur, trouve un narrateur dans tous les récits de fiction sans
distinction de personne.
Cette
théorie narratologique structuraliste sera par la suite fortement développée
par Gérard Genette dans les années 70-80. Dans Figures III, il améliore cette typologie de Todorov et celle de
Roland Barthes (« histoire » et « narration »[5]) en
proposant la tripartition suivante dont il reverra d’ailleurs l’ordre dans
Nouveau discours du récit :
« histoire » (les événements racontés ou le signifié),
« récit » (le signifiant, c’est-à-dire l’énoncé ou le discours par
lequel les événements sont racontés) et « narration » (l’acte même de
raconter). Cette dernière catégorie lui permet de mesurer la béance entre les
deux premières au moyen du « temps », du « mode » et de la
« voix ». On s’aperçoit ici de la disproportion dont parle Paul
Ricœur à propos de cette tripartition genettienne qui traite plus du
« temps » et du « mode » en reléguant le temps de
l’énonciation dans le dernier chapitre sous la catégorie de « voix ».
Fidèle au principe
immanent du structuralisme qui lui permet d’échapper à la contrainte de
l’identité de l’auteur, Genette fait du narrateur l’instance productrice du
discours narratif et récuse ce qu’il appelle les hésitations de la poétique qui
verse dans la confusion entre «l’énonciation narrative [et le] ‘‘point de
vue’’, l’instance narrative [et]
l’instance d’ ‘‘écriture’’, le narrateur [et] l’auteur et le destinataire
du récit au lecteur de l’œuvre[6] ».
Pour lui ce narrateur est un rôle fictif inventé par l’auteur de sorte que
« la situation narrative d’un récit de fiction ne se ramène jamais à sa
situation d’écriture [7]» ;
le « moi social » étant distinct du « moi créateur »[8].
C’est dire que le concept de « voix narrative » a été mis sur
pied comme instrument abstrait et métaphorique au service de la répression de
la crise de l’autorité de l’auteur.
Dans Fiction et Diction, il affine davantage sa caractérisation de la voix
narrative :
Les caractères de la voix narrative se ramènent pour
l’essentiel à des distinctions de temps [narration ultérieure,
antérieure, simultanée], de « personne » [opposition entre récit
homodiégétique et hétérodiégétique] et de niveau [intradiégétique,
extradiégétique][9].
Cette conception
genettienne de la voix dans le récit, et par delà de la narratologie
« classique », strictement en rapport avec le narrateur procède de sa
filiation avec le structuralisme qui, en tant que théorie de la langue et non du
discours, déshistorise les théories du langage et revendique la clôture du
texte; d’où l’objectivité qui fonde son postulat d’immanence. En ce qu’elle ne
s’intéresse pas aux enjeux interprétatifs et aux marques linguistiques qui s’y
rapportent, elle cherche plus à classer les œuvres qu’elle n’analyse le mélange
des voix. Elle appelle les remarques suivantes:
- La voix
narrative se donne à voir comme la matérialité de la parole qui résonne dans le
récit et ne se confond pas avec le point de vue qui relève du mode ou de la
perspective narrative. Perspective qui insiste plus sur le contenu oral réel
qui, dans certains cas comme Mémoires
d’Hadrien de Marguerite Yourcenar où Hadrien s’arroge la fonction
narrative, peut induire l’idée que l’énonciation est l’œuvre d’un seul sujet
parlant alors que l’image que l’énoncé en donne, plus complexe, est celle d’un
dialogue, d’un échange.
- La question de
la subjectivité liée à l’étude de la voix narrative, n’est pas pensée en rapport
avec une instance autre que le personnage du récit sous l’éclairage de la
catégorie grammaticale de la « personne » dans le cadre de la
« focalisation interne ». Ce qui, dans la continuité de Benveniste, laisse
voir une conception de la subjectivité en rapport uniquement avec les énoncés
embrayés de sorte que ceux non embrayés constitués de « phrases sans
parole » (Ann Banfield), c’est-à-dire d’énoncés délocutés et procédant de l’énonciateur, sont ipso facto attribués au narrateur. En
continuant ici d’épouser la logique des focalisations « zéro » et
« externe » de la narratologie classique qui dénie le «point de
vue » à ce narrateur, on se rend compte de la manière – contradictoire - dont
elle met à la fois au compte de ce narrateur, dans des énoncés au « second
plan », des phénomènes relevant de la voix narrative et d’autres relevant
du mode narratif. C’est de ce point de vue que les catégories linguistiques de
« Point de vue » et de « Dialogisme » me semblent
opératoires en ce sens qu’elles permettent la corrélation des paramètres de la
voix et de la perspective comme une approche méliorative de la voix narrative.
Conjonction qui met en doute l’unicité du sujet parlant (ce narrateur
transcendantal) et fait de la voix le lieu composite de la parole et du point
de vue. Ce que je vais m’attacher maintenant à montrer dans les points suivants
à partir du corpus yourcenarien.
II- Le Point de vue comme parole intérieure :
vers une acception dématérialisée de la voix narrative
La fin des années 70 consacre la vague de diffusion des travaux de
Bakhtine par l’intermédiaire de Tzevtan Todorov et de Julia Kristeva qui
introduisent en France ses théories dont la mise en question du mythe de
l’unicité du sujet parlant qui repose sur l’idée que plusieurs voix parlent
simultanément dans certaines catégories de textes littéraires (le roman de
Dostoïevski notamment) sans hiérarchie ou prépondérance de l’une sur l’autre.
En esquissant une théorie polyphonique de l’énonciation en 1984, Oswald Ducrot en
fait une application linguistique sur des suites d’énoncés pour une mise en
doute plus sérieuse qui s’attaque cette fois aux postulats d’Ann Banfield selon
lesquels, dans un énoncé, il n’y a qu’un seul sujet de conscience et que, s’il
y’a un locuteur, il est identique à ce sujet de conscience. C’est ainsi qu’il
conçoit l’énonciation comme la description du sens de l’énoncé à travers
laquelle le « locuteur », qui est « une fiction
discursive [10]» responsable de l’énoncé
(le narrateur dans la terminologie de la narratologie classique), peut mettre
en scène la subjectivité d’une autre instance qu’il appelle
« énonciateur » défini comme
[Cet être] qui [est censé] s’exprimer à travers
l’énonciation, sans que pour autant on [lui] attribue des mots précis ; s’
[il « parle »], c’est seulement en ce sens que l’énonciation est vue
comme exprimant [son] point de vue, [sa] position, [son] attitude, mais non
pas, au sens matériel du terme, ses paroles[11].
En narratologie,
ce point de vue qui représente les énoncés délocutés de l’énonciateur est
employé comme synonyme de « vision » (Pouillon, Todorov), de « focalisation »
(Genette), de « réflecteur » (Stanzel), de « centers of
consciousness » (centres de conscience de Monika Fludernik), tous dominés
par le postulat phénoménologique de la vue inspiré principalement des
présupposés sartriens qui sont au fondement de cette théorie des visions
développée par Jean Pouillon en 1946. Il
sera repris par Alain Rabatel comme PDV dans son Histoire du point de vue (1997) qui abandonne les traditionnelles
questions genettiennes « qui voit ? », « qui sait ? »
et opère le remplacement de la notion de « foyer » par celle de
« sujet du PDV » ou « focalisateur » qui insiste sur
les perceptions et/ou pensées représentées comme subjectivité infra-verbale,
donc sans ancrage déictique:
Nous considérons le PDV comme la manière spécifique par
laquelle les informations d’un texte narratif sont véhiculées par telle
instance donnée, à côté des paroles et pensées des personnages, ou à côté des
intrusions d’auteur caractérisées, bref, dans le cas où la subjectivité du
discours ne se rapporte explicitement pas à un je ou à un tu[12].
En le
développant comme parole intérieure, il en fait une problématique qui concerne au
premier plan l’étude de la voix narrative:
Si le point de vue concerne la problématique de la parole
intérieure, c’est en tant qu’il relève d’une théorie de l’effacement fondée sur
la disjonction énonciateur/locuteur (Ducrot 1984), à même de rendre compte
d’énoncés délocutés comme l’expression paradoxale sinon d’une parole, du moins
d’un point de vue subjectif distinct de celui du locuteur-narrateur[13].
Dans les théories de l’énonciation, cette voie sur la
subjectivité dans le langage a été ouverte par Benveniste (1966) qui, avec sa
« sémiologie de deuxième génération[14] »
constitutive de son apport au modèle saussurien fondé sur la notion de signe
comme principe clos, ouvre une nouvelle dimension de signifiance (le discours)
qui étend la dimension de l’origine énonciative à des instances qui ne
s’incarnent pas forcément dans la manipulation de la deixis. C’est à partir de
cette subjectivité infra-verbale que Ducrot pose les linéaments du déplacement
métaphorique de la voix vers des problématiques linguistiques qui s’accentuent
et atteignent une expression achevée auprès des théoriciens de la ScaPoLine (théorie scandinave de la polyphonie
linguistique) qui, par la siglaison (pdv) et la substitution du point de vue à la
voix (2004), radicalisent la dynamique initiée par Ducrot. A partir de ce
moment, le sujet de l’énoncé ne peut plus être réduit aux éléments grammaticaux
(narration homodiégétique, hétérodiégétique, etc.) car le point de vue, dans
ses diverses modalités d’expression - impression, pensée, perception, sensation
– ne se réduit plus à la vision et demeure ainsi au cœur de la question de la
subjectivité du sujet dans le langage. En distinguant le « sujet
syntaxique » qui renvoie au narrateur de Genette et le « sujet
sémantique », c’est-à-dire celui des perceptions et des pensées
représentées, Rabatel clôt sa série de définitions de la notion par la suivante :
Les bases linguistiques de l’expression du PDV reposent
dans l’expression des perceptions et/ou des pensées représentées. Ces
perceptions et pensées représentées sont sous la dépendance syntaxique d’un
sujet et d’un procès de perception mentionnés dans les premiers plans et/ou
sous la seule dépendance sémantique d’un agent ou d’un procès que le texte ne
mentionne pas explicitement et que le lecteur reconstruit par inférence[15].
Ce qui veut dire
que dans un énoncé peuvent cohabiter voix du locuteur exprimée dans le premier
plan et celle de l’énonciateur exprimée dans le second plan. Si je dis
« voix de l’énonciateur » et non pas plus explicitement « point
de vue de l’énonciateur », c’est que la voix, avant d’être incarnation et
réalisation matérielle par la parole, est point de vue, c’est-à-dire une forme
de réflexivité antérieure. Ainsi, contre l’étanchéité infranchissable de
Genette, PDV et voix sont à penser dans un continuum conformément à la
tradition de l’inséparabilité de la pensée et du langage[16]. Et
cela d’autant plus que les limites entre parole/perception/pensée sont floues,
et, qu’à certains niveaux, la distinction entre verbe de parole et verbe de
pensée est opaque[17]. La
voix apparaissant dès lors comme compagne de la pensée, il importe peu qu’elle soit
muette ou sonore puisqu’elle est toujours dans les mots. C’est d’ailleurs
pourquoi « tout PDV relève toujours de la voix et du mode [18]», renchérit
Rabatel répondant en écho à Bakhtine pour qui « il n’existe pas de fossé
entre l’activité psychique intérieure et son expression[19] ».
La disjonction ducrotienne locuteur/énonciateur et cette conception de la voix
comme point de vue permettent de s’apercevoir de la configuration polyphonique
dans cet énoncé d’Alexis ou le traité du
vain combat
Que fallait-il faire ? On n’ose tout dire à une
jeune fille, même lorsque son âme est déjà l’âme d’une femme. Les termes
m’eussent manqué ; j’eusse donné de mes actes une image affaiblie, ou
peut-être excessive (O.R : 60)[20]
où la voix de
Monique répond, sous forme de point de vue, à l’interrogation de son mari
Alexis (ici locuteur-narrateur) par le moyen du phénomène linguistique de
l’expansion qui permet d’arracher la
réponse de la sphère du locuteur-narrateur pour la coréférer au sujet de
conscience Monique. D’ailleurs le recours à l’indéfini « on » pour
fournir la réponse, alors qu’Alexis avait la possibilité de dire
« je » pour assumer l’énoncé, contribue à associer Monique dans la
paternité de la réponse. Pour le dire autrement, la voix d’Alexis et la voix de
Monique (à laquelle on ne peut attribuer aucune parole au sens strict de
Ducrot, mais qui a acquis néanmoins le statut d’énonciateur en ce que sa
conscience se trouve dévoilée) s’enchaînent et se répondent dans cet énoncé. Wayne
Booth pousse la hardiesse de la réflexion et affirme que « tout point de
vue intérieur soutenu […] transforme momentanément en narrateur le personnage
dont la conscience est dévoilée [21]». Preuve
également que le point de vue participe du dialogisme ; ce sur quoi je
reviendrai dans les développements ultérieurs. A propos d’ailleurs de cette
conjonction point de vue/voix de Monique, Marguerite Yourcenar elle-même
affirme l’inexistence de rupture entre pensée et langage chez elle comme chez
son personnage :
Ce qui m’intéressait, ou plutôt ce qui intéressait
Alexis, ce serait précisément d’essayer de résoudre, dans la mesure du
possible, cette dissonance, scandaleuse pour un esprit logique, entre ce qui se
pense, ce qui se dit, et ce qui se fait[22].
Pour l’école praxématique de Montpellier qui se réclame de la fidélité à l’héritage
de Bakhtine autour de Jacques Bres et Aleksandra Nowakowska, les distinctions
entre voix et point de vue qui les mettent
en situation de concurrence et de glose s’originent de l’emploi polysémique du
terme russe « golos » qui renvoie, parfois simultanément, aux
dimensions corporelle, discursive et narratologique. A cela s’ajoute le fait
que les traductions françaises ont insisté sur la dimension vocale là où, dans
le texte original, Bakhtine ne l’a pas énoncée explicitement. Ce que Jacques
Bres réaffirme comme suit en évoquant la complexité de la notion de voix chez
Bakhtine :
La notion de « voix » est comme celle de
« dialogue », de sens variable et large, chez Bakhtine : ce
peut-être, au plus près du sens littéral, à l’oral, dans le discours direct,
« l’intonation qui démarque le discours d’autrui » (GD :300), et
plus généralement, tous les phénomènes qui miment tel ou tel aspect de la
parole de l’autre ; mais « voix » a le plus souvent bien moins
de consistance matérielle, et réfère aux discours convoqués à partir des traces
laissées par les différentes interactions[23].
C’est ainsi
qu’ils réintroduisent le terme de « voix », insistent sur sa
dimension dématérialisée et parlent de « voix de l’énonciateur
citant », de « voix de l’énonciateur cité ». Mais en réalité ce
qu’ils désignent par « voix de l’énonciateur », c’est son point de
vue dans la terminologie de Ducrot, de Rabatel, de Perrin, pour ne citer que
ceux-là. D’ailleurs ils affirment que dans les travaux de Ducrot de 1981 qui
ont vu naître sa théorie de la polyphonie et le concept d’énonciateur (en tant
que source du Point de vue), il y sous-entendait la voix. Preuve que chez les
linguistes, s’il y’a une diversité terminologique symptomatique de la
complexité de la notion qui la suscite, les analyses ne divergent pas dans le
fond qui admet l’existence d’une subjectivité infra-verbale qui enrichit et
problématise la notion de « voix ». C’est ce point de vue comme voix
de l’énonciateur qui permet, dans des récits homodiégétiques comme Mémoires d’Hadrien et Alexis ou le traité du vain combat où
Yourcenar revendique la monodie littéraire du texte, de contredire le projet de
son roman en ce sens qu’il occasionne la mise en scène de voix autres que celle
du locuteur-narrateur comme dans l’énoncé suivant :
[…] l’empereur [Trajan], appuyant sur la table une main
de plus en plus tremblante, muré dans une ivresse peut-être à demi feinte,
perdu de loin sur les routes de l’Asie, s’enfonçait gravement dans ses
songes…Par malheur, ces songes étaient beaux. C’étaient les mêmes qui m’avaient
autrefois fait penser à tout abandonner pour suivre au-delà du Caucase les
routes septentrionales vers l’Asie. […] Le problème de l’Orient nous occupait
depuis des siècles. (O.R : 347)
Ici, c’est l’omniscience du narrateur-empereur - une
omniscience du reste limitée par la modalisation « peut-être » qui
frappe le nom « ivresse » - imaginant le monologue qui hante la
conscience de son prédécesseur, qui laisse voir l’expression du point de vue de
Trajan sous forme de songes. Le contenu de ces songes assimilés à ceux du
narrateur par le comparatif « les mêmes » et révélé dans le groupe
nominal-hypéronyme-sujet de la dernière phrase (« le problème de l’Orient[24] »),
est exprimé au moyen des embrayeurs suivants : les procès de perception
et/ou de pensée contenus dans le sémantisme des mots muré, perdu, s’enfonçait, occupait,
etc., la visés sécante des imparfaits de l’indicatif et les marqueurs de second
rang dont les subjectivèmes beaux et gravement. Mais c’est encore plus dans le nous de la collectivité, qui élargit la dimension
actancielle et, dans le même mouvement, ambiguïse la dimension référentielle,
que nous retrouvons la voix de Trajan. Ce sont de tels énoncés où le
locuteur-narrateur configure la voix d’énonciateurs intra ou extra diégétiques
qui me fondent à parler de polyphonie dans les narrations homodiégétiques
yourcenariennes là où leur auteur revendique un statut monodique davantage mis
en doute par l’orientation dialogique de certains énoncés que j’étudierai par
la suite. Mais si cela a été possible, c’est eu égard, d’une part, à une
conception de la voix qui déborde la parole qui résonne dans le récit et qui ne
se limite pas aux types de narrateurs catégorisés par Genette, et, d’autre
part, à la corrélation entre voix et point de vue (ce qui a été
fondamentalement le talon d’Achille des premières études narratologiques) dans
la perspective de la constitution d’une situation narrative complète et sur la
base de paramètres linguistiques. Bien plus, de telles configurations
polyphoniques, en même temps qu’elles ne favorisent plus le repérage aisé des
niveaux narratifs avec un narrateur en récit premier et des personnages en
récit second, obstruent, par l’intrication des voix, la traditionnelle béance
entre récit et histoire qui sont désormais indéfectiblement liés comme l’exprime Anne Reboul.
Ces analyses linguistico-narratologiques
s’enrichissent de la perspective philosophico-religieuse suivante de Saint
Augustin qui conforte dans l’assimilation de la parole intérieure – donc du point
de vue – à la voix :
Lorsque [les pensées] se produisent au-dehors par
l’entremise du corps, parole et vision sont choses différentes ; mais
au-dedans, lorsque nous pensons, parole et vision ne font qu’un. De même, la
vue et l’ouïe, en tant que sens corporels, sont deux sens distincts, mais dans
l’âme, voir et entendre sont choses identiques. Voilà pourquoi, tandis que le
langage prononcé au-dehors ne se voit pas, mais s’entend, lorsqu’il s’agit des
paroles intérieures, autrement dit des pensées, le Saint Evangile nous dit, non
pas que le Seigneur les entendit, mais qu’il les vit. Il vit donc ce qui se dit[25].
S’arrêter donc à une conception de la voix comme
matérialité de la parole (la parole étant ce langage phoniquement réalisé par
l’émission des sons) et traiter le point de vue comme mode et non comme voix me
semblent une réduction de l’origine et de la destination de la voix à la bouche
et à l’oreille qui ne sont que des orifices par où elle transite :
La voix y passe, les effleure, les traverse, sans s’y
fixer. Points de passage obligés, péages, la voix s’y modifie, s’y fait
reconnaître mais n’y confie ni d’où elle vient ni où elle va. C’est bien, en
deçà de la bouche que la voix est engendrée, bien au-delà de l’oreille qu’elle
se fait entendre[26].
La notion de point de vue, en élargissant l’accès de la pensée et de
l’expression, fût-elle infra-verbale, à des sources autres que le narrateur,
réduit non seulement la posture omnisciente de ce dernier, mais favorise également
l’émergence d’autres instances qui enrichissent énonciativement l’approche
narratologique de la voix. Sur ce chemin de la subjectivité, il rencontre le
dialogisme dont il participe également et au service duquel il est. Il convient
maintenant, après l’étude du point de vue comme voix, d’analyser ce phénomène
linguistique de dialogisme dont l’intérêt, pour notre perspective, réside dans
sa capacité à rendre compte des enjeux interactionnels de l’échange et, partant,
à faire entendre dans le récit toutes les formes de voix.
III- Le dialogisme comme mode de
description de la voix narrative
La notion de dialogisme est issue de la translinguistique du philosophe
russe et théoricien du roman, Mikhaïl Bakhtine, qui l’évoque dans « Du
discours romanesque [27]» et
« Les genres du discours [28]» à
travers les termes de « reflets réciproques », d’ « harmoniques
dialogiques ».
Toute énonciation, même sous forme écrite figée, est une
réponse à quelque chose et est construite comme telle. Elle n’est qu’un maillon
de la chaîne des actes de parole. Toute inscription prolonge celles qui l’ont
précédée, engage une polémique avec elle, s’attend à des réactions actives de
compréhension, anticipe sur celles-ci[29].
Un énoncé ne peut pas ne pas être, également, à un
certain degré, une réponse à ce qui aura déjà été dit sur l’objet donné, le
problème posé, quand bien même le caractère de réponse n’apparaîtrait pas
distinctement dans l’expression extérieure. […] Les harmoniques dialogiques
remplissent un énoncé et il faut en tenir compte si l’on veut comprendre
jusqu’au bout le style de l’énoncé[30].
A la lumière de ces textes, le concept a été didactisé et diffusé par des
auteurs comme Todorov, Kristeva, Peytard, Moirand, et Bres qui le définit comme
« la capacité de l’énoncé à faire entendre, outre la voix de
l’énonciateur, une (ou plusieurs) autre(s) voix qui le feuillettent
énonciativement[31] ». En envisageant
l’énonciation comme la construction d’une réponse, Bakhtine conçoit l’énoncé
comme une inscription qui se situe dans le prolongement de celles qui l’ont
précédée et avec lesquelles il engage un dialogue sous plusieurs formes
(polémique, anticipation, etc.). Cette caractérisation de l’énoncé est reprise
comme suit pour désigner les trois types de dialogisme explicitement posés par
Bakhtine :
L’orientation de tout énoncé (au sens précédemment
explicité de « tour de parole »), constitutive et au principe de sa
production, (i) vers des discours réalisés antérieurement sur le même objet de
discours, (ii) vers le discours réponse qu’il sollicite, (iii) vers lui-même en
tant que discours[32].
C’est
sur la base de cette triple interaction définitoire de la notion que Bres et Moirand
(fin 1990) puis Bres et Nowakowska (2005) parlent de « dialogisme
interdiscursif » (i), de « dialogisme interlocutif » (ii) et de
« dialogisme intralocutif » (désigné aussi sous le terme d’« autodialogisme »
(iii).
En
utilisant ces trois sous-catégories, j’essaierai de montrer comment la voix du
locuteur-narrateur-énonciateur yourcenarien s’oriente vers d’autres discours
avec lesquels elle interagit. Elles me semblent, de même que la notion de point
de vue, comme un phénomène de nature à fausser l’entreprise de Marguerite
Yourcenar (son effacement auctorial, la monodie de son texte) qui, à rebours
d’un fait qui est consubstantiel à toute pratique langagière humaine selon
Bakhtine, refuse l’extérieur constitutif du discours dans son roman en « s’interdi[sant] les ombres
portées ; [en] ne permet[tant] pas que la buée d’une haleine s’étale sur
le tain du miroir » (O.R : 528).
En entretenant une relation de
dialogue avec des discours antérieurs qui sont posés comme réalisés, la
première forme de dialogisme nous permet de penser la voix narrative en termes
de superposition comme ici celle du poète Virgile qui est réfractée derrière
celle de Nathanaël dans Un Homme obscur :
Nathanaël se souvenait vaguement de bois inviolés au bord
de sanctuaires dont parle Virgile, mais ces lieux-ci ne semblaient contenir ni
anciens dieux, ni fées ou lutins tels qu’il avait cru parfois en voir dans les
bocages de l’Angleterre, mais seulement de l’air et de l’eau, des arbres et des
rochers (O.R : 950)
L’expression à « deux voix[33] »
bois inviolés au bord de
sanctuaires
que Nathanaël recycle dans ses pensées établit un dialogue entre son PDV relayé
par le narrateur anonyme à travers les procès de perception et/ou de pensée se souvenait, avait cru et la voix du poète. Dialogue qui est inscrit sous le sceau de
l’opposition de deux plans par le moyen de la conjonction adversative mais : bois
de Virgile peuplé d’anciens
dieux, de fées, de lutins qui contraste en
répondant à celui de Nathanaël fait d’air,
d’eau et de rochers. Ce phénomène auquel ne peut échapper que
l’ « Adam biblique », parce qu’étant le premier locuteur à
manier des objets vierges, a reçu des désignations diverses auprès de la
critique: «l’interdiscours » ou « le discours-traverse »
(Pêcheux), « la mémoire discursive » (Jean-Jacques Courtine), « l’intertextualité »
(Julia Kristeva) « la mémoire interdiscursive » (Sophie Moirand) et,
dans une certaine mesure, les « prédiscours » (Marie-Anne Paveau). En
même temps, il est révélateur de la dimension palimpsestuelle de l’écriture qui participe, en terme bakhtinien, de la présence du
« mot d’autrui » dans celui du locuteur-narrateur qui produit à l’arrivée
ce « mot à deux voix » tel que cela apparaît dans cet énoncé d’Hadrien
Par exemple, il me semble à peine essentiel, au moment où
j’écris ceci, d’avoie été empereur. (O.R : 305)
dans lequel on ne peut pas manquer d’entendre les
résonnances de cette voix de Yourcenar-auteur
dans ses paratextes :
De la même façon, peut-être, me semble-t-il à peine
essentiel, au moment où je dis ceci, d’avoir été écrivain[34].
Contrairement donc au postulat de son effacement,
la voix de l’auteur se trahit dans la substance verbale infirmant l’hypothèse
de la neutralité du langage de l’empereur. Le dialogisme interdiscursif permet alors
de sortir de la clôture structuraliste pour penser la voix narrative en rapport
avec le « déjà-dit », le « connu » d’instances non fictives
qui ne se retrouvaient pas dans les catégories de la narratologie classique.
La conception de l’énoncé
comme réponse s’oriente aussi vers des discours de l’énonciateur qui ne sont
pas tenus comme réalisés, mais imaginés en tant que réactions discursives possibles
avec lesquelles on interagit. C’est le dialogisme interlocutif, pendant
symétrique du dialogisme interdiscursif. Il peut être analysé en termes
d’objection de l’énonciateur [e1] en réaction à l’énonciateur [E2] telle que
cela apparaît dans cette série de mises en garde d’Alexis tendant à diriger ou
à prévenir les jugements de Monique à travers lesquels on entend son point de
vue ou sa voix:
Il ne faut pas, mon amie, que vous la blâmiez trop
vite : elle était d’une délicatesse infinie. Il faut, mon amie, que vous
pardonniez à la princesse Catherine. Vous pensiez peut-être que l’on n’en peut
rien dire, ou bien, vous n’en parliez jamais, parce que vous le sentiez
présent. (O.R : 53- 58).
Tout autrement,
la mise en scène de la subjectivité de Monique par le moyen du dialogisme
interlocutif se donne à voir sous forme d’anticipation, de représentation de
ses pensées par le locuteur-narrateur :
J’étais absolument seul. Je me suis tu, jusqu’à présent,
sur les visages humains où s’est incarné mon désir ; je n’ai interposé,
entre vous et moi, que des fantômes anonymes. Ne croyez pas qu’une pudeur m’y
contraigne, ou la jalousie qu’on éprouve même à l’égard de ses souvenirs. […]
Ne vous imaginez pas que Marie fût très belle. (O.R : 41-43)
Il y a donc, par les moyens de la négation
métalinguistique, des appositions et parenthèses explicatives – la lettre
d’Alexis étant une justification, une explication à sa femme - une
reconfiguration d’énoncés in
absentia qui
situe, schématiquement, le dialogisme interlocutif sur l’axe syntagmatique de
la successivité (l’énoncé E1 devançant les impressions de e1) là où les énoncés
in praesentia situent le dialogisme
interdiscursif sur l’axe paradigmatique de la substituabilité (l’énoncé e1
pouvant substituer l’énoncé E1 qu’il reprend).
Avec
le « dialogisme intralocutif » (Jacques Bres) en tant qu’interaction
du scripteur avec son propre discours, la boucle est bouclée et toutes les
dimensions textuelles du discours cernées. Il apparaît, comme une reprise par
le scripteur de ses énoncés en tant que présupposés dont il se sert pour
développer son argumentation. Le procédé est fréquent dans les récits
homodiégétiques yourcenariens où le locuteur-narrateur, bénéficiant de la
posture de l’âge, de la maturité, de la distance et de la distanciation,
reconsidère son discours sous forme de jeux de miroir et de dédoublements
critiques. Hadrien comme Alexis scindent leur égo en deux et érigent leur
« moi » écouteur en « moi » locuteur ; ce qui
dialogise leurs monologues :
Une fantaisie me vint : l’empereur qui se refusait à
faire graver ses appellations et ses titres sur les monuments qu’il avait
construits prit sa dague, et égratigna dans cette pierre dure quelques lettres
grecques, une forme abrégée et familière de son nom […] (O.R : 445)
Je suis fatigué de cet être médiocre, sans avenir, sans
confiance en l’avenir, de cet être que je suis bien forcé d’appeler Moi, parce
que je puis m’en séparer. […] Je suis certes meilleur que lui ; je puis
parler de lui comme je ferai d’un étranger […] (O.R : 46)
Ces phénomènes de dédoublement consacrent, en
termes ducrotiens, l’éclatement du locuteur en « locuteur en tant que
tel » et en « locuteur en tant qu’être du monde » dont les voix
dialoguent dans le récit.
Avec ces trois
sous-catégories, on s’aperçoit que le dialogisme est partout, dans le récit de
parole comme dans le récit d’événement. Ce dont la narratologie classique ne
pouvait pas s’apercevoir avec les théories a-dialogiques de ses focalisations
« zéro » et « externe » qui, non seulement traitent le point
de vue comme mode et non comme voix, mais en font un instrument de sélection de
l’information narrative à la disposition d’un narrateur qui peut en exclure les
personnages selon le point de l’univers diégétique auquel il situe le foyer
narratif.
Conclure ?
Le point de vue, en
reproblématisant la notion voix, et le dialogisme, en décelant l’écheveau des
voix dans le récit, ont permis à la
linguistique énonciative de renouveler le regard des théories narratologiques
sur :
- l’acception de la voix qui intègre une dimension
dématérialisée qui en fait le lieu composite de la parole et du point de vue en
raison de la continuité entre pensée et langage, au point que la voix narrative
devienne une catégorie pour décrire la subjectivité d’un discours dont le
contrôle échappe à la figure traditionnelle du narrateur transcendantal. Ce qui
a, dans le même mouvement, permis d’invalider le présupposé théorique
yourcenarien organisant certains de ses romans autour du principe monodique.
Aussi se rend-on compte que l’activité verbale dépasse les limites de la
narration et invite à une reformulation même de l’instance productrice du
discours : instance énonciative, instance narratrice ?
- la complexité de l’énoncé comme réponse, échange
qui le configure comme un discours traversé inéluctablement par le discours
d’autrui qu’il rencontre sur son chemin.
- la dramatisation forte du niveau narratif qui, en
exhibant par delà la diégèse l’acte qui la produit, favorise une intrusion
massive de la voix dont le repérage ne relève pas de l’évidence.
De telles modifications constatées en chemin
inverse (renouvellement de la linguistique par les études littéraires) et
qu’une autre étude pourrait révéler, inviteraient à penser les deux champs plus
en termes de transdisciplinarité que d’interdisciplinarité car le dialogue
dépasserait une simple appropriation des catégories pour devenir une
intégration qui change les fondements épistémologiques. De toute manière,
l’échange est plus que jamais inévitable car comme l’exprime Roman Jakobson
Un linguiste sourd à la fonction poétique comme un
spécialiste de la littérature indifférent aux problèmes et ignorant des
méthodes linguistiques sont d’ores et déjà, l’un et l’autre, de flagrants
anachronismes[35].
Pour citer l'article: Abdoulaye Diouf, « Point
de vue et dialogisme : des catégories linguistiques pour repenser la
question de la voix narrative ». Actes du colloque sur
« Intersection(s) : penser l’interdisciplinarité en
littérature » tenu les 13-14 mars 2009 à l’université Brown, Providence
(États-Unis). Équinoxes n°12,
Printemps/Été 2009, URL : http://www.brown.edu/Research/Equinoxes/Journal/.html
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Pléiade.
[1] Voir Grammaire du Décaméron, La
Haye, Mouton, 1969, p.10.
[2] Cet « aspect
verbal » de même que l’ « aspect syntaxique » et
l’ « aspect sémantique » sont les corrélats respectifs des
subdivisions suivantes de la rhétorique ancienne qui ont inspiré le poéticien
russe : l’elocutio, la dispositio et l’inventio. Qu’est-ce que le structuralisme ? 2. Poétique, Op.cit.,
p. 31.
[3]Ibid. p. 50.
[4]Qu’est-ce que le structuralisme ? 2. Poétique, Op.cit., p. 57.
[5] Lire son article
« Introduction à l’analyse structurale des récits », Communications, Op.cit.
[6] Figures III, Op.cit., p. 226.
[7] Ibid. p. 221.
[8] Cette distinction
s’inscrit, du point de vue esthétique mais aussi juridique, dans la perspective
de la revendication de l’autonomie du discours littéraire. On sait par le passé
que des auteurs ont été condamnés pour complicité avec les sentiments coupables
de leur personnage (Flaubert à propos de ceux d’Emma Bovary) ou par confusion
entre leur état civil et leur statut de créateur (Baudelaire et le poète qu’il
est dans ses Fleurs du mal).
[9] Paris, Editions du Seuil, 1979, p. 154.
[10] Le Dire et le dit, Paris, Editions
de Minuit, 1984, p. 198.
[11] Ibid. p. 204.
[12] Une histoire du point de vue, Université de Metz, 1997, p. 14.
[13] « Les
représentations de la parole intérieure : monologue intérieur, discours
direct et indirect libre, point de vue », Langue française 132, décembre 2001, p. 88.
[14] Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966, p. 66.
[15] La construction textuelle du point de vue, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1998, p. 58.
[16] A ce propos Benveniste
nous apprend que la possibilité de la pensée est liée à la faculté du langage
car l’acte de penser est, pour lui, un maniement des signes de la langue. Problèmes de linguistique générale 2,
Paris, Editions Gallimard, 1974, p. 74.
[17] C’est le cas par exemple
dans l’énoncé « il se dit… »
[18] Ibid. p. 126.
[19] Le Marxisme et la philosophie du langage, Paris, Editions de
Minuit, 1977, p. 50.
[20] Nous empruntons tous nos
exemples de l’édition de la
Pléiade, Œuvres
romanesques, Paris, Gallimard, 1982.
[21] « Distance et point
de vue », Poétique du récit, Paris,
Seuil, 1977, p. 110.
[22] Lettre à Nina Ruffin du
14 juin 1952 dans D’Hadrien à Zénon. Correspondances
1951-1956, texte établi et annoté par Colette Gaudin et Rémy Poignault, avec la
collaboration de Joseph Brami et Maurice Delcroix, Paris, Gallimard, 2004, p.
157-158.
[23] « Savoir de quoi on
parle : dialogue, dialogal, dialogique ; dialogisme,
polyphonie… », Dialogisme et
polyphonie. Approches linguistiques, Editions Duculot, Bruxelles, 2005, p.
54.
[24] Qui constitue le troisième fléchissement d’Hadrien dans la série des
crises que son auteur dit, dans ce qu’elle confie à Patrick de Rosbo, lui avoir fait subir.
[25] De Trinitate, XV, X, 18, cité par Herman Parret dans La voix et son temps, Bruxelles, De
Boeck Université, 2002, p. 17.
[26] Herman Parret, Ibid. p. 28.
[27] Dans Esthétique et théorie du roman, (Moscou 1934/1975), Paris,
Gallimard, 1978, p. 83-233.
[28] Dans Esthétique de la création verbale, (Moscou 1952/1979), Paris,
Gallimard, 1984.
[29] Le Marxisme et la philosophie du langage, Op.cit., p. 105.
[30] Esthétique de la création verbale, Op.cit., p. 298-300.
[31] « Dialogique »,
« dialogisme » (Marqueurs de-) » dans Termes et concepts pour l’analyse du discours. Paris, Champion,
2001, p. 83.
[32] Jacques Bres et
Aleksandra Nowakowska, « Dis-moi avec qui tu dialogues, je te dirai qui tu
es… De la pertinence de la notion de dialogisme pour l’analyse du
discours », Marges linguistiques 9,
mai 2005, p. 139.
[33] Problèmes de la poétique de Dostoïevski, Lausanne, Editions de
L’Age d’Homme, 1970, p. 215.
[34] Les Yeux ouverts. Entretiens avec Matthieu Galey, Paris, Editions
du Centurion, 1980, p. 227.
[35] Essais de linguistique générale, Paris, Editions de Minuit, 1963, p.
248.
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